Bonifacio ne veut plus céder un mètre carré à la spéculation. Depuis début 2025, la commune a renforcé ses dispositifs contre la prolifération des résidences secondaires. Le nouveau Plan local d’urbanisme (PLU), révisé à l’issue d’un long bras de fer avec les autorités préfectorales, limite désormais fortement la constructibilité en zones littorales et agricoles. Les permis de construire pour des maisons individuelles sont passés au crible. Objectif : stopper l’hémorragie foncière.
Une ligne rouge sur les falaises de Bonifacio
La municipalité veut enrayer un phénomène qui transforme ses hameaux en villages fantômes l’hiver. Près de 69 % des logements de la commune sont aujourd’hui des résidences secondaires ou touristiques. Un record en Corse.
La mécanique du blocage
Ce tournant n’est pas un simple affichage. Depuis fin 2024, plusieurs projets de lotissements ont été suspendus, voire annulés. Parmi eux, un ensemble de villas haut de gamme prévu à Pertusatu, sur un terrain privé classé en zone naturelle depuis la révision du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse). L’affaire a cristallisé les tensions entre promoteurs, élus et associations environnementales.
Le maire Jean-Charles Orsucci assume. Il a fait voter une série de délibérations limitant la densification des zones UC (urbaines constructibles) et imposant des obligations de résidence principale dans les nouveaux programmes. La commune s’appuie sur un arsenal juridique renforcé par le décret n°2023-1122 sur la protection du littoral.
Les promoteurs décrochent
Conséquence immédiate : un gel partiel du marché local. Plusieurs promoteurs continentaux se retirent discrètement du secteur. Les autorisations de construire ont chuté de 38 % entre 2023 et 2024, selon la DREAL Corse. Certains parlent même d’un « mini-moratoire ». Les prix, eux, ne baissent pas. Ils grimpent sur l’ancien, mais le neuf se raréfie. L’immobilier devient un actif rare et spéculatif.
Pour les agences locales, la situation devient paradoxale. Les investisseurs veulent acheter, mais l’offre se resserre. Le mètre carré à Bonifacio frôle désormais les 9 000 € dans le centre historique, 11 500 € en front de mer. Du jamais vu.
Les résidents permanents en embuscade
Mais le blocage ouvre aussi des brèches. La municipalité a lancé une opération de logements accessibles à Sant’Amanza, uniquement pour les primo-accédants à l’année. D’autres initiatives visent à racheter des terrains délaissés pour y bâtir des maisons en bail réel solidaire. Une première en Corse-du-Sud.
La collectivité territoriale de Corse (CTC), jusqu’ici prudente, soutient désormais cette ligne. Un fonds d’intervention foncière a été activé début 2025. Il cible les zones sensibles à forte pression touristique, comme Bonifacio, Porto-Vecchio ou Piana.
Effets dominos sur le reste de l’île
Ce frein assumé à Bonifacio pourrait faire école. Plusieurs communes littorales observent la stratégie avec intérêt. À Algajola ou Lecci, les maires étudient la possibilité de conditionner les permis à des critères sociaux. Le schéma régional d’aménagement, en cours de révision, pourrait intégrer des quotas de résidences principales.
Mais l’affrontement entre économie touristique et habitat local reste vif. Les professionnels du BTP, notamment la Fédération du bâtiment de Corse-du-Sud, alertent sur une baisse de l’activité à venir. En toile de fond, le vieux débat entre attractivité foncière et droit à l’habiter.
Bonifacio trace une nouvelle frontière
En verrouillant l’urbanisation, Bonifacio rebat les cartes du marché immobilier insulaire. Le modèle d’un développement tiré par la résidence secondaire atteint ici ses limites. Les élus parlent désormais de « résilience territoriale » et de « souveraineté foncière ».
Voir aussi: Villages fantômes modernes : quand les programmes neufs peinent à trouver preneur
Ce choix, encore isolé, pose une question plus large : celle du contrôle du sol dans une île soumise à des tensions entre nature, mémoire et modernité. Pour Bonifacio, l’avenir passe par un usage plus sobre et plus équitable de l’espace. Quitte à renoncer à certaines opportunités économiques.
Un virage politique et territorial, scruté de près, bien au-delà du détroit de Bonifacio.