Depuis 2015, les constructions neuves subissent une série de transformations réglementaires, techniques et économiques. En France comme en Europe, les ambitions environnementales dictent désormais les grandes orientations du secteur. Objectif : réduire drastiquement l’empreinte carbone du bâtiment, qui représente encore 36 % des émissions de CO₂ dans l’Union européenne. La RE2020 en France, la directive européenne EPBD (Energy Performance of Buildings Directive), et les exigences de neutralité carbone à l’horizon 2050 imposent de nouvelles règles du jeu.
Une décennie de ruptures des constructions neuves
Le marché a vacillé sous le poids de cette complexité croissante. Entre 2021 et 2024, les permis de construire ont chuté de 30 % en France. Les coûts ont explosé. Les acteurs, désorientés, ont suspendu ou annulé des projets. Le marché s’est figé. Mais depuis fin 2024, des signaux faibles apparaissent. Une adaptation en profondeur semble amorcée.
Des normes plus strictes mais plus cohérentes
La RE2020, en vigueur depuis janvier 2022, a bouleversé les habitudes. Elle ne se limite plus à une logique de performance thermique. Elle impose aussi un plafond carbone sur le cycle de vie du bâtiment, intégrant les matériaux, le chantier, la démolition future. C’est une norme exigeante mais plus holistique. Elle incite à utiliser des matériaux biosourcés, comme le bois, la paille ou la terre crue, et à optimiser l’empreinte carbone dès la phase de conception.
En Europe, la directive DPEB (EPBD) révisée fin 2023 pousse dans la même direction. Elle prévoit que tous les bâtiments neufs soient « zéro émission » dès 2030. Et impose une rénovation accélérée des passoires thermiques dans le parc existant. Cette convergence franco-européenne est salutaire. Elle permet une meilleure anticipation par les promoteurs et industriels.
Un secteur contraint à l’innovation
Face à la complexité réglementaire, les acteurs du neuf ne peuvent plus se contenter de reproduire les schémas passés. La filière s’est vue obligée d’innover. Des promoteurs comme Nexity ou Bouygues Immobilier ont massivement investi dans les logiciels de simulation thermique dynamique, le BIM, et les jumeaux numériques. Ils modélisent l’impact environnemental d’un projet dès les premiers plans.
L’usage de matériaux alternatifs explose. En France, la part des logements collectifs construits en ossature bois est passée de 6 % en 2018 à près de 15 % en 2024. Des groupes comme GA Smart Building ou Woodeum misent tout sur le bois massif. En Europe, l’Autriche, la Suède et les Pays-Bas testent des structures hybrides bois-béton, plus stables et durables.
Un marché à la peine mais prêt à rebondir
Le gel de l’activité entre 2022 et 2024 s’explique par une convergence de chocs : hausse des taux, explosion des prix des matériaux, désorganisation des chaînes d’approvisionnement, chute de la demande. En France, les mises en chantier ont reculé de 25 % en deux ans. Le neuf est devenu trop cher, trop complexe à financer, trop lent à produire.
Mais depuis le premier trimestre 2025, plusieurs signaux laissent entrevoir un redémarrage partiel. Le taux d’usure a été recalibré. La BCE commence à desserrer sa politique monétaire. L’État français a annoncé un nouveau plan de soutien aux constructions neuves, avec des prêts bonifiés et un PTZ élargi. Le foncier public sera mobilisé pour produire du logement abordable répondant aux nouvelles normes.
Des projets pilotes de constructions neuves comme vitrines européennes
Dans toute l’Europe, des programmes pilotes donnent à voir le futur du neuf réglementé. À Lyon Confluence, l’îlot G est le premier quartier français intégralement certifié E4C2, le plus haut niveau carbone-énergie de la RE2020. À Fribourg, le quartier Vauban devient un laboratoire de bâtiments à énergie positive, alimentés par des réseaux de chaleur solaire.
Par ailleurs, la ville d’Helsinki impose aux promoteurs d’atteindre un seuil maximal d’émissions de 6 kg de CO₂/m²/an dès 2026. Quant à Madrid, le programme « Madrid Nuevo Norte » prévoit 10 000 logements construits exclusivement avec des matériaux recyclés ou recyclables.
Ces exemples jouent un rôle d’accélérateurs. Ils rendent visibles des techniques encore marginales, mais appelées à devenir dominantes.
L’enjeu de la massification des solutions
Pour que le marché redémarre à grande échelle, il ne suffit pas de démontrer que les normes sont applicables. Il faut aussi qu’elles deviennent accessibles. Cela passe par une industrialisation des techniques bas carbone. Le béton décarboné, par exemple, reste 30 à 40 % plus cher que le béton classique. Les pompes à chaleur haute performance nécessitent des installateurs formés et disponibles. Les matériaux biosourcés manquent de filières de production stables.
En réponse, des consortiums se créent. En France, le programme OBEC 2 finance des plateformes régionales d’approvisionnement en chanvre, bois et terre crue. L’Europe soutient le projet HORIZON BUILDUP, qui vise à standardiser les composants modulaires bas carbone à l’échelle du continent.
Un nouveau rapport au logement
Derrière la question technique des normes se joue aussi une transformation du sens même du logement. Les constructions neuves ne doivent plus seulement héberger. Elles doivent produire, stocker, recycler, s’adapter au climat. La norme devient un levier de transformation sociétale. Elle pousse à redéfinir les usages, les surfaces, les temporalités.
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On assiste à un retour de l’habitat évolutif, avec des logements capables d’accueillir plusieurs fonctions : télétravail, colocation intergénérationnelle, agriculture urbaine. Les nouvelles normes, en intégrant la flexibilité, la résilience et l’impact environnemental, obligent à repenser la valeur immobilière autrement que par le seul rendement locatif.
Vers une maturité collective des constructions neuves
Le choc réglementaire des années 2020 a certes ralenti le marché. Mais il a aussi permis une clarification : l’ère des constructions neuves non durables est révolue. Ce qui émerge, lentement mais sûrement, c’est une nouvelle maturité. Les normes, désormais, ne sont plus vécues uniquement comme des contraintes. Elles deviennent des cadres d’innovation, des opportunités de distinction et des garanties de durabilité.
La décennie 2025-2035 s’annonce comme celle de la stabilisation, de la massification et de la montée en compétence. Un défi colossal. Mais probablement le seul capable de rendre le secteur de la construction compatible avec l’urgence climatique et les attentes sociétales de demain.